Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Marame Diao, 38 ans, Sénégalaise, co-fondatrice des Cinq assiettes traiteur.
Diarra Dramé, 42 ans, franco-mauritanienne, je suis éducatrice spécialisée dans la protection de l’enfance et co-fondatrice des Cinq assiettes. Il s’agit d’un service de traiteur, à impact social. Le chiffre 5 fait référence aux 5 continents. Cette diversité se traduit dans nos plats, mais aussi chez les jeunes que nous essayons d’insérer et qui proviennent des 4 coins du monde, certains avec un parcours de vie et d’exil parfois douloureux.
D’où provient cet attrait pour l’art culinaire ?
D.D : On a toujours eu cette passion en nous. On savait déjà très bien cuisiner, c’est un don qui nous a été transmis par nos mères.
Vous venez toutes les deux d’un parcours dans le social, décrivez-nous la genèse des Cinq assiettes traiteur. Comment êtes-vous passées du social au culinaire ?
M.D : Pour en revenir à la base, juste avant les Cinq assiettes traiteurs, on dirigeait un premier service culinaire d’inspiration africaine. Cela fonctionnait plutôt bien et nous étions 5 à nous repartir la tache en cuisine. On a commencé tout doucement, du bas de l’échelle, pour maitriser toute la chaine, la gestion du service, de la logistique, etc. Le temps faisant son œuvre, on a appris, on s’est formées et, au fur et à mesure, on est montées en gamme. Puis le Covid est arrivé et, d’un coup, plus aucune activité. À partir de là, plusieurs membres de l’équipe – il faut savoir qu’on avait toutes des doubles activités – ont préféré mettre un terme à l’aventure.
En parallèle, Diarra et moi évoluions effectivement toutes les deux dans le social, en tant qu’éducatrices spécialisées. Pendant le Covid, nous avons effectué une reconversion. Pour ma part, en tant que designer d’intérieur.
D.D : Et pour ma part, ma reconversion est restée dans le domaine social, en tant qu’éducatrice chargée d’insertion professionnelle auprès des jeunes qui sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Et comme il n’y a pas de hasard, j’ai commencé à m’occuper de jeunes qui souhaitaient se former et évoluer dans les métiers de la restauration. À force de voir leur détermination à acquérir de véritables compétences et apprendre la langue, à force d’entendre leurs parcours de vie souvent chaotiques, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser, d’autant plus que tous les établissements chez qui nous les envoyions nous faisaient d’excellents retours. J’en ai parlé à Marame et je lui ai dit que c’était peut-être un signe qu’il ne fallait pas abandonner notre précédent projet, notre bébé qu’était ce service traiteur. Et que ce serait aussi la possibilité d’œuvrer à insérer davantage ces jeunes.
Nous avions la même ambition et partagions la même vision, c’est ainsi qu’est né Les Cinq Assiettes traiteur.
Quel est le process de recrutement de ces jeunes ?
D.D : Comme je vous le disais, je travaille toujours dans un centre éducatif et de formation professionnelle. Nous formons des jeunes que nous accompagnons vers l’insertion. Du coup, je suis en contact permanent avec des jeunes en difficulté, je les observe, je sais de quoi ils sont capables et quelle est leur motivation. Si cela entre en cohérence avec leur projet professionnel, je les sollicite pour participer à nos évènements et travailler à nos côtés. Par exemple, il y a ce jeune Sénégalais que j’ai accompagné lors de son arrivée en France. Il parlait à peine français et, aujourd’hui, il est devenu cuisinier. C’est un garçon très efficace et, lors de nos évènements, nous faisons régulièrement appel à lui. D’une personne que j’assistais, il est devenu mon collègue. Le but serait désormais de pouvoir nouer ce genre de ponts avec de nombreux restaurateurs qui parfois peinent à recruter des jeunes talentueux et, surtout, motivés.
M.D: Récemment, on a été contactées par une grande entreprise pour un repas. Pour relever le challenge, nous avons fait confiance à une petite chef de 19 ans, tout droit sortie de son BTS. Elle leur a proposé une recette de cuisine fusion – l’ADN de Cinq assiettes traiteur – en servant une dorade accompagnée d’asperges et mixée avec une sauce chien (créole). Le résultat fut incroyable, elle s’est sentie valorisée et a pu être fière du travail accompli. Voici notre feuille de route : Aider à l’insertion de jeunes dans la restauration, tout en proposant la meilleure cuisine fusion réunissant les saveurs des 5 continents. De par la diversité de jeunes chefs que nous avons formés, nous pouvons répondre à toutes les demandes, qu’il s’agisse de gastronomie française, vietnamienne, mexicaine, africaine, etc. Dans un pays comme la France où les mariages mixtes explosent, il en va de même pour les demandes de buffet aux saveurs métissées et il est important de pouvoir être flexible.
Songez-vous à élargir votre cible en vous positionnant sur des plateformes de livraison ?
M.D : Nous souhaitons nous inscrire au-delà de cette approche mercantile. Les restaurants – qui se lancent sur les plateformes de livraison – sont généralement des entreprises qui embauchent un peu « à tour de bras », car il faut pouvoir faire du débit et répondre à la demande journalière. Évidemment, nous souhaitons vivre le plus confortablement possible de notre activité, mais nous accordons une place centrale à l’humain et aux parcours de vie de nos collaborateurs. Nous ne voulons pas devenir une sorte de mini usine.
Vous êtes originaires du Sénégal et de Mauritanie, avez-vous pensé à y implanter votre concept ?
M.D : Nos parents ont fait l’aller, on peut faire le retour (rires).
D.D : On aimerait vraiment bien. Le jour où nous aurons l’opportunité de réaliser une prestation à l’étranger, surtout dans nos pays d’origine, ce sera un bel accomplissement.
Si vous aviez un conseil à donner à une personne qui aimerait faire une reconversion ?
M.D : Chaque expérience passée vous servira forcément de bagage pour pouvoir vous accomplir. Il n’y a aucun chemin tracé, tout droit et sans vague. Mon passé d’éducatrice et mon métier de designer se complètent et m’accompagnent dans mon activité de traiteur, à impact social. Le métier du design dans les scénographies que je vais proposer au service traiteur et le métier d’éducatrice dans l’insertion des jeunes aux métiers de la restauration. Tout se complète, ne vous mettez donc aucune barrière.
D.D : Je dirais qu’il faut toujours suivre son instinct. Quand on a une idée et qu’elle s’allie, par bonheur, à une passion, il faut foncer ! Et comme l’a dit Marame, il est possible de combiner plusieurs aptitudes. Une chose est sûre, la reconversion ne doit pas être perçue comme un saut dans le vide, mais comme le début d’une belle aventure.
Si je vous dis le mot « Roots », cela vous évoque quoi ?
D.D : Je vois le désert, la route, je pense aux récits douloureux de certains jeunes qui ont traversé le désert pour arriver jusqu’à nous. On essaie de leur rendre du mieux qu’on peut.
M.D : Je pense à un arbre, avec ses racines enfouies dans l’obscurité. Et plus on fouille, plus on remonte à la surface, plus on voit apparaître la lumière. C’est l’image qui me vient à l’esprit.
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