« Il a contribué à redonner à l’Afrique son passé. Et en redonnant à l’Afrique son passé, il a redonné peut-être son passé à l’humanité ». Là sont les mots prononcés par l’écrivain et homme politique Aimé Césaire en 1986 pour décrire le travail de toute une vie de Cheikh Anta Diop.
Né le 29 décembre 1923, dans le village de Thieytou au Sénégal, l’historien, anthropologue et scientifique est envoyé chez un maître coranique, puis à l’école française. Il y reçoit un enseignement marqué par une vision dévalorisante de l’Afrique ne possédant aucune histoire précédant la colonisation. Opposé et en net désaccord avec cette idéologie, il lutte très tôt contre cela. Avant la fin de ses études, notamment, il élabore un alphabet pour retranscrire les langues africaines.
Une bombe à Paris
A l’âge de 23 ans, Anta Diop part poursuivre ses études à Paris, à la Sorbonne. Il mène un double cursus : Sciences humaines et Sciences Exactes et suit les enseignements du philosophe Gaston Bachelard et de l’ethnologue Marcel Griaule. Par la suite, il se spécialise en chimie au Collège de France sous la direction de Frédéric Juliot-Curie. A la capitale, il fréquente les milieux intellectuels qui militent pour l’indépendance des pays africains. Les étudiants se retrouvent autour d’Alioune Diop qui est le fondateur de la libraire Présence Africaine. Parmi eux, figurent Aimé Césaire ou encore Léopold Sédar Senghor. Lors de ses études, l’historien sénégalais rédige une thèse explosive. En effet, il défend l’idée selon laquelle la civilisation égyptienne était une civilisation profondément africaine. Ce travail novateur est refusé lors de sa présentation à l’université car le jury n’est pas formé pour le contenu proposé. En 1954, ses thèses sont publiées dans Nations nègres et culture aux éditions Présence Africaine. Le livre dérange parce que Cheikh Anta Diop écrit une histoire africaine, chose qui n’a pas été faite, mais aussi une « décolonisation » de celle-ci. Il identifie les courants migratoires et la formation des ethnies, délimite le monde noir jusqu’en Asie et démontre la capacité des langues africaines à soutenir le raisonnement scientifique et philosophique. De plus, sa démarche scientifique est liée à l’idéologie politique. En réhabilitant l’histoire de l’Afrique, la construction d’un futur politique égal au reste de l’humanité est envisageable pour les Africains.
Un combat semé d’obstacles
Après avoir décroché son doctorat, le scientifique rentre au Sénégal en 1960 et devient maître de conférences à l’université de Dakar. Parallèlement, Léopold Sédar Senghor est élu président. Une relation difficile basée sur une forte opposition naît entre lui et Diop. L’historienne et chercheuse à l’Université de Californie à Los Angeles, Madina Thiam l’explique : « Le président parle de négritude. Il souligne une différence entre une culture nègre fondée sur le rythme et une culture hellène fondée sur la raison. Diop cherche à montrer non seulement les développements intellectuels qui ont eu lieu sur le continent africain et issus de populations noires, mais également les fondements nègres de cet aspect de la culture européenne. Il défend l’idée de la création d’un Etat fédéral négro-africain qui recouvrirait l’ensemble du continent ».
Cette opposition perdurera tout le long de la carrière de l’anthropologue. Senghor lui posera beaucoup d’obstacles, mais cela n’empêche pas au scientifique de créer son laboratoire radiocarbone. Grâce à cela, il effectue des tests de mélanine sur la peau de certains cadavres venus d’Egypte afin de confirmer les récits de Grèce Antique sur la mélanodermie des anciens Egyptiens. En 1980, il devient professeur d’histoire ancienne à l’Université de Dakar, après le départ de Léopold Sédar Senghor. Il y enseignera jusqu’à sa mort, le 7 février 1986, à 63 ans. Bien que sa pensée vivifie l’afrocentrisme, paradigme souvent critiqué, Cheikh Anta Diop a su écrire l’histoire africaine, comme bien d’autres, pour aider les Africains à s’émanciper.
Par Nicky Kabeya
Édition ROOTS Afrique de l’Ouest
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