AMINATA KONATÉ-BOUNE : Entrepreneure sociale aux 1001 vies !

« Les opportunités d’expansion se sont offertes à moi, avec aujourd’hui 7 structures essentiellement basées en Seine-Saint-Denis, un projet d’ouverture dans l’Essonne, les Hautes-Seine et plus largement dans les outre-mer. »

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Aminata Konaté-Boune, 45 ans, franco-malienne, cadre de l’éducation nationale, entrepreneure de l’économie sociale et solidaire et engagée dans de nombreuses associations d’utilité publique.

Nous vous avons découverte aux débuts de Roots, il y a plus de 10 ans, avec l’ouverture d’un salon solidaire, à Montreuil. Racontez-nous la genèse de ce concept et l’évolution qui s’en est suivie…
Il y a 13 ans, je créais le premier salon de coiffure solidaire, première structure d’accompagnement et de développement solidaire dans le département de la Seine-Saint-Denis et plus particulièrement à Montreuil. Je me suis très vite rendue compte que cette structure correspondait à un besoin qui n’était pas comblé. C’est ainsi que nous avons commencé à accueillir du public venant parfois de très loin comme Étampes ou Évry dans l’Essonne. Les opportunités d’expansion se sont très vite offertes à moi, avec aujourd’hui 7 structures essentiellement basées en Seine-Saint-Denis, un projet d’ouverture dans l’Essonne, les Hautes-Seine et plus largement dans les outre-mer, parce que les questions d’équité territoriale sont importantes pour moi. Nos banlieues, à l’identique de nombreux territoires d’outre-mer, sont souvent négligées et considérées comme des territoires oubliés, voire dédaignés. Mon objectif, derrière mes actions concrètes, est d’apporter une réponse à une problématique donnée, à travers la preuve par l’action. Ce qui a fonctionné ici peut être dupliqué dans les territoires ultra-marins, tout en tenant compte des réalités endogènes, afin de compenser les carences de plus en plus insupportables. Le manque d’infrastructures publiques, la misère numérique, l’employabilité des jeunes et l’émancipation des femmes par l’économie sont des thématiques dans lesquelles je suis pleinement engagée.

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Récemment, vous avez installé le premier salon de coiffure afro, en plein coeur de l’INSEP, établissement regroupant le fleuron des athlètes français. Là encore, comment avez-vous relevé ce pari fou ?
En effet, il y a deux ans, en partenariat avec L’Oréal, mon équipe est devenue les « Coiffeurs de champions » au sein de la prestigieuse structure INSEP. Le salon multi ethnique a été spécialement conçu pour répondre aux besoins de sportifs, que ça soit pour l’aménagement, les horaires d’ouverture ou en contenu de prestation.
Dès lors, le design du salon entièrement décoré par une architecte expérimentée de L’Oréal, fait un clin d’œil aux épreuves sportives (voir photo). Au-delà de la satisfaction de contribuer au bien-être de sportifs de haut niveau, ma motivation principale résidait dans le fait de pouvoir contribuer également à l’image positive des athlètes noir(e)s qui peinaient souvent à avoir une image flatteuse avec des cheveux bien coiffés à l’issue de compétitions. Il s’agissait, pour moi, de réparer une injustice criante d’équité en termes d’offre de prestation. Alors, vous vous imaginez bien que lorsque Jean-Claude Legrand m’a fait part du projet d’ouverture d’un salon à l’INSEP, j’ai de suite accepté de relever le challenge avec ma talentueuse équipe de professionnels. Car je le rappelle, je n’ai pas de formation en coiffure, l’expertise revient totalement à mes équipes.

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Vous faites également partie de ceux qui ont porté le projet reconnaissance de la langue soninké comme patrimoine mondial, à l’instar du swahili. Selon vous, pourquoi cette démarche revêt-elle une telle importance ?
En effet, la Journée internationale de la langue soninké, parlée par des millions de personnes en Afrique de l’Ouest, sera désormais célébrée dans le monde entier le 25 septembre. L’occasion pour nous de promouvoir et de valoriser notre langue et notre culture.
J’ai porté ce projet avec l’APS (Association pour la promotion de la langue et de la culture soninké), dont je suis devenue depuis peu l’une des vice-présidentes, avec les délégations permanentes de la Gambie, du Mali et de nombreux pays co-auteurs. Cette journée a été officiellement décrétée lors de la 217e session du conseil exécutif de l’UNESCO en octobre 2023. Je considère que la langue est constitutive de notre identité. « Je parle donc je suis…. Je parle soninké donc je suis Soninké » Nos langues maternelles sont des richesses inestimables qu’on a voulu à tort nous retirer sous des prétextes fallacieux d’assimilation rigide…. Mon parti pris est de dire à la jeunesse que nos langues constituent « un plus », et en posant de tels actes, nous contribuons à la préservation de notre patrimoine culturel et identitaire. Au cours de cette démarche, nous avons appris que le soninké devenait de facto la 2ème langue africaine après le Swahili à obtenir une journée internationale décrétée par l’UNESCO… Se sont ensuivies émotion et colère !!! Seulement 2 langues pour le continent mère, 2 langues pour l’Afrique… La prochaine étape sera donc d’accompagner d’autres langues africaines à obtenir leur journée auprès de l’UNESCO. L’objectif est certainement d’empêcher nos langues de mourir ; et, pour ce faire, il est nécessaire d’utiliser tous les outils à notre disposition. La thématique de la première célébration du 25 septembre prochain est d’ailleurs « Le soninké à l’ère du numérique » : parce que nous avons pleinement conscience qu’il nous faut intégrer les NTIC dans notre quête de préservation de la langue. Pour finir, je dirais que nos langues sont tellement riches d’expressions et d’enseignements qu’ils seraient dommage de ne pas les entretenir. Il s’agit, à mon sens, d’un défi générationnel : il ne convient plus seulement de parler la langue, l’objectif est de trouver les mécanismes pour la perpétuer.

« En 2018, j’ai été décorée par mon pays d’origine le Mali. […] Cette distinction signifie que j’ai le Mali dans mon cœur, dans mes actes et dans mes aspirations. »

Vous êtes une entrepreneure qui s’engage sur de nombreux fronts, quel est votre secret de longévité ?
Je dirai sans détour : l’amour de mon prochain. A bien y réfléchir, toutes mes actions, mes engagements, replacent sans cesse l’humain au centre de mes préoccupations. Des structures d’accompagnement qui visent le bien-être avec mes salons de coiffure, la préservation de la langue comme lien intergénérationnel et multiculturel, le développement personnel, le coaching pour que chaque être humain prenne réellement conscience de soi préalable à la confiance en soi pour tendre vers l’exploitation de son plein potentiel. Lorsque j’accompagne mes élèves dans la prise de parole en public et qu’ils deviennent des orateurs expérimentés et reconnus, ma fierté est d’autant plus grande parce que j’ai réellement impacté positivement leur vie. Le secret de ma longévité réside sans doute dans le fait que transmettre est, pour moi, une vocation, une envie et une mission. On m’a dit très jeune que pour rester éternelle il fallait transmettre… Je l’applique à la lettre !!!

Quels sont vos prochains challenges, à moyen ou long terme ? Comptez-vous étendre vos activités au continent africain ?
Je suis déjà présente depuis plus de 10 ans sur le continent africain et plus particulièrement en Afrique de l’Ouest, sur des questions d’éducation et d’émancipation des femmes par l’économie. J’interviens également sur la thématique du développement durable notamment dans l’agroécologie. C’est ainsi que je suis l’auteure de nombreux articles sur les sujets évoqués. Je suis également conférencière sur les thématiques citées. Mes nombreuses actions sur le continent m’ont dernièrement valu d’être récompensée en juillet dernier à Dakar en obtenant le Cauris d’or de la Diaspora. J’ai accueilli cette récompense avec une immense fierté, s’agissant d’une distinction reçue sur le continent qui a vu naître mes parents.

« La journée internationale de la langue soninké sera désormais célébrée dans le monde entier le 25 septembre. J’ai porté ce projet avec l’APS (Association pour la promotion de la langue et de la culture soninké), dont je suis devenue l’une des vice-présidentes, avec les délégations permanentes de la Gambie, du Mali et de nombreux pays co-auteurs. »

Black Excellence est notre mantra. Selon vous, est-ce un mythe ou une réalité ? Comment vous situez-vous par rapport à cette expression ?
Pour moi ce n’est ni un mythe, ni une réalité mais un objectif à atteindre. Nous avons dans nos communautés de nombreuses personnes excellentes, aux expertises reconnues, et qui méritent d’être davantage connues et dûment reconnues. Mais nous avons aussi une marge de progression importante du fait de notre histoire, voire d’un certain laxisme dont certains, trop nombreux à mon goût, semblent se complaire.
Par rapport à cette expression de Black Excellence, je me situe personnellement en adéquation. Sans fausse humilité, je pense qu’elle me caractérise assez bien dans ma philosophie de vie et dans mes aspirations.

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En 2018, vous avez été décorée par votre pays d’origine, le Mali, en qualité de Chevalier de l’ordre du mérite national. Que représente cette distinction et quelle place occupe le Mali dans la femme que vous êtes devenue ?
En effet, en 2018, j’ai été décorée par mon pays d’origine le Mali. J’ai reçu cette distinction en France à la chancellerie malienne.
La Mali, mon pays d’origine, ma culture, mes cultures, ma langue, mes langues sont mon point de départ et mon point d’arrivée. Il n’y a pas d’Aminata sans le Mali. Cette distinction, je l’ai dédiée à mon père parti trop tôt, qui a dû esquisser un sourire lors de ma décoration. Cette distinction signifie que j’ai le Mali dans mon cœur, dans mes actes et dans mes aspirations ; et pour moi, c’est important. Mon éducation est avant tout malienne, puisqu’il s’agit de celle inculquée par mes parents, mes valeurs le sont également. J’ai beau être franco-malienne, les deux sont indissociables ; et la transmission de mes parents reste indépassable.

Si vous aviez un message à adresser à nos lecteurs et/ou futurs partenaires ?
Mon message s’adresse prioritairement aux lectrices :
« Une femme sage connaît ses limites, une femme intelligente n’en a pas » Devinez laquelle je suis…
Concernant mes partenaires actuelles, je les remercie de la confiance et de permettre à mes ambitions de prendre corps. Aux futurs partenaires, je les invite à prendre le train de l’engagement utile avec moi à travers des actions concrètes et pérennes toujours plus nombreuses.
« Le partage est une nourriture qui fait renaître l’espérance » et en éternelle optimiste, je l’utilise à profusion.

Si je vous dis le mot « Roots », quelle est la 1ère image qui vous vient à l’esprit ?
Les racines et la force combinée d’un baobab.