Contrôle d’identité s’il vous plaît ?
Je n’ai pas mon passeport sur moi monsieur (rires) ! Je suis Admiral-T, cela fait une vingtaine d’années que je fais carrière dans la musique caribéenne. J’ai commencé par le reggae dancehall, en mélangeant la musique de chez moi, la Guadeloupe, à celle de la Caraïbe. J’ai six albums et un film à mon actif Neg Mawon sorti en 2005. D’ailleurs, mon prochain album sortira pour mon Bercy le 15 avril 2017. Que dire d’autre … J’ai une école primaire à mon nom en Guadeloupe, dans le ghetto où j’ai grandi, et c’est une grande fierté.
L’année 2017 s’annonce riche en émotions ?
Très très riche. Pour moi, Bercy est une consécration, c’est la plus grande salle de France et surtout la quatrième plus grande salle du monde. C’est tout de même près de 20 000 personnes et je serai le premier artiste caribéen à le faire en solo ! J’ai déjà réalisé 3 Zénith de Paris et l’étape suivante logique était forcément Bercy. Je suis un artiste et homme de challenge, j’ai senti que c’était le bon moment pour se lancer dans cette aventure où il faudra se donner à 200% !
Quand on regarde attentivement la programmation de Bercy lors des deux dernières années, rares sont les artistes français à s’y être produits, vous appartenez donc en quelque sorte à une caste très fermée de la musique française. Malgré cela, avez-vous le sentiment d’être apprécié et reconnu à votre juste valeur par le milieu musical ?
Très bonne question. Le paradoxe que j’ai toujours rencontré avec ma musique en France c’est que mon public fidèle m’a toujours suivi sans même que ma musique ne passe sur les radios nationales. Les gens ne comprennent pas comment Admiral-T arrive à remplir des salles comme le Zénith alors que sa musique n’est pas diffusée. J’ai fait des festivals partout en Europe, en Afrique, aux Etats-Unis et, ici en France, il m’est étonnement très compliqué de rentrer dans les gros festivals… Il y a un problème avec ceux qui sont en place, des personnes qui voient les choses de manière obsolète. Je pense par exemple au patron de Skyrock, sa façon de fonctionner… Plus ça va, plus ça empire. Heureusement pour moi, je n’ai pas un besoin vital de ces radios-là, parce que j’arrive à rassembler du monde grâce aux réseaux sociaux qui sont devenus notre propre média. Les modes de consommation de la musique et des clips ont changé. Pour la nouvelle génération, tout se passe sur Internet. Quand je discute avec mes fils de ce qu’ils écoutent, ils me parlent d’artistes que je ne connais absolument pas. Désormais, les artistes ont la possibilité de se faire connaître uniquement grâce à Internet. Je pense que c’est une bonne chose pour les artistes qui ne sont pas au devant de la scène parce que le fonctionnement des médias est devenu un peu abusif et manque d’impartialité. Désormais, un artiste a la possibilité de proposer ce qu’il est réellement sans avoir à se travestir
ni à transformer sa musique pour satisfaire les standards de telle ou telle radio.
À quoi doit-on s’attendre pour ce nouvel album ?
J’ai déjà dévoilé trois singles. Il y a tout d’abord le titre avec mon fils Happy birthday qui était juste un petit trip entre nous. J’ai également Game over avec Djanah et Love don’t crack avec Kalash. Je voulais me faire plaisir, ce sera un album très éclectique avec différentes couleurs.
Le morceau en duo avec votre fils lui a donné des envies pour une éventuelle carrière ?
Il n’a que 11 ans, je veux qu’il se focalise sur l’école et qu’il ne se prenne pas trop la tête. Être le fils d’Admiral-T est déjà quelque chose de lourd à porter, commencer la musique à 11 ans me pa-raît trop tôt. Évidemment, il m’est important d’inculquer à mes enfants ce que je sais faire, ils prennent des cours, ils s’amusent, mais je ne veux pas choisir pour eux. J’ai commencé la musique, certes à 13 ans avec les sound systems, mais c’était une toute autre époque. Aujourd’hui, la musique que les enfants écoutent est une musique « d’adulte » avec des paroles très violentes, vulgaires et dures. Je regarde même certains clips qui sont pratiquement des films d’horreur… Je suis un artiste qui défend les valeurs de la musique. Le titre avec mon fils était festif et ramenait les enfants dans leur monde. Il ne faut pas gâcher leur enfance.
On a vu une photo de vous en studio avec Chris Brown sur Instagram. Cela présage-t-il un scoop ?
Tout le monde me pose cette question (rires) ! J’ai été voir un ami à New-York qui a un complexe de studios d’enregistrement. C’est un grand compositeur qui a «créé» pas mal d’artistes américains. Je suis passé le voir pour discuter et travailler sur mon album et, dans le plus grand des studios, se trouvait Chris Brown. Mon ami compositeur m’a introduit, lui a expliqué qui j’étais et Chris Brown m’a fait écouter les morceaux de son nouvel album. Il a d’ailleurs repris un titre soca dancehall qui a marché il y a quelques années et qui, j’en suis sûr, va être un futur carton notamment dans la Caraïbe. On a passé un peu plus d’une heure au studio ensemble, on a fait un petit freestyle, c’était vraiment un bon moment.
Revenons sur le General Crew qui était composé de Stony, Kalash et vous-même. Vous avez lié une relation quasi fraternelle avec Kalash, j’imagine que vous êtes très fier de voir son explosion ?
Je suis effectivement très fier de le voir sur le devant de la scène depuis 3/4 ans. Il a vraiment explosé avec son album Kaos. C’est quelqu’un que j’ai très rapidement considéré comme un petit frère parce qu’on s’entend super bien. Avant que cela ne fût une collaboration musicale, c’était avant tout de supers vibes amicales, quasi familiales, d’où le General Crew. Je suis quelqu’un de très « famille » qui vient d’une fratrie de dix enfants, et qui a grandi dans un quartier populaire. À chaque fois que je retourne en Guadeloupe, je me concentre sur ma famille. Quand Kalash venait en Guadeloupe, il venait à la maison, et inversement lorsque nous allions chez lui, en Martinique. On a partagé beaucoup de choses en dehors de la musique. On a l’habitude de voir des artistes qui s’entretuent et le public aime ce genre de buzz, mais le General Crew tend justement à véhiculer une image contraire.
Si je vous donne une baguette magique pour faire un featu-ring avec n’importe quel artiste vivant …
Je suis un artiste de scène et il y a quelqu’un que j’apprécie beaucoup dans ce domaine : Beyoncé. Elle a une présence scénique phénoménale. Après, je pourrais citer Tarrus Riley que j’ai déjà rencontré, et dont j’aime la vibe et le travail.
Si vous aviez un message à adresser à la jeunesse caribéenne et africaine …
Peu importe de là où on vient, il faut vraiment croire en ses rêves et se dire qu’on peut accomplir de grandes choses. J’ai grandi dans un ghetto et je n’aurais jamais cru être là, à faire une interview avec toi, d’ailleurs tu [Michael Kamdem] es un modèle de réussite aussi. Je me souviens d’un jour où je passais avec ma femme devant l’Olympia et elle me dit : «wahou, t’imagines voir ton nom écrit, là ?». Je lui ai répondu « Et pourquoi pas si on travaille pour ?! », ce à quoi elle rétorqua : « Tu es toujours dans tes rêves ». Le jour où j’ai fait l’Olympia pour la première fois, en 2006, elle s’en est souvenue et a filmé mon nom sur la façade en lettre rouge. Cela m’a vraiment touché et j’ai réalisé que tout était réellement possible. Dans notre communauté afro-caribéenne, nous avons énormément de jeunes talentueux. Je me rappelle du jour où Jesse Jackson est passé aux Antilles, il y a quelques années de cela. Il a dit à la foule présente : « il y a plus de talents que de bananiers, ici » et j’ai trouvé cela très fort! Tout est possible pour celui qui travaille pour.
Si je vous dis “Roots”, cela vous évoque quoi ?
Les racines sont ce qu’il y a de plus important. Un arbre sans racine est un arbre qui tombe. Si le baobab reste debout pendant 1000 ans, c’est parce qu’il a de bonnes racines, c’est donc un mot fort, c’est la base de tout.
Édition : ROOTS n°18
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