CARLOS BILONGO : Un insoumis face au drame congolais

« Il s’agit d’une guerre économique pour des matériaux et pierres précieuses dont le sous-sol du Congo regorge. »

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Je suis Carlos Martin Bilongo, né à Villiers-le-Bel le 31 décembre 1990. Je suis le dernier d’une fratrie de six frères et sœurs.
Mes parents sont originaires de la RDC. J’ai été élu député du Val-d’Oise (8e circonscription) en juin 2022, puis réélu en juillet 2024. Mon engagement est profondément social et humaniste. Et au Parlement français, je suis Président du groupe d’amitié entre la France et la RDC. Chaque année au Parlement, lors de chaque mandature, des pays ont un groupe d’amitié et sont présidés par un député. Cela me tenait à cœur d’être le Président du groupe d’amitié du pays de mes origines pour permettre un pont et une relation particulière avec d’autres parlementaires, ainsi que la mise en place d’actions avec la société civile.

En tant que député français d’origine congolaise, comment percevez-vous la situation actuelle dans l’Est de la RDC, une région fortement touchée par la guerre et les conflits ?
C’est une région qui est très sinistrée et que j’ai pu visiter ces dernières semaines. J’étais encore à Goma au mois de mars dernier (2024). C’est un conflit qui a plus de 30 ans, je n’étais même pas né qu’il était déjà en place. Les problématiques sont énormes avec plus de 10 millions de morts, 7 millions de déplacés et une incapacité à trouver des solutions pour cette population, parce que des gens continuent à vivre sur place. Et ces personnes-là demandent juste à vivre, à pouvoir exister. Malheureusement, elles sont dans une impasse et confrontées à un silence de la communauté internationale qui est assourdissant. Il y a aussi une communauté congolaise qui va au-delà du Congo, une diaspora établie en France, aux États-Unis et dans différentes régions du monde et qui doit aussi aider, à sa manière, ces personnes du Nord-Kivu qui sont en très grande détresse. Il faut que la justice passe parce qu’on ne peut pas laisser des gens mourir ainsi et ne pas mettre des mots, ne pas mettre des actes forts et ne pas mettre de condamnation.

S’agissait-il d’un voyage dans le cadre de votre mission parlementaire ou bien d’une initiative personnelle ?
C’était une initiative personnelle. J’ai eu le temps de faire des voyages par rapport à l’action parlementaire. Cette fois-ci, je m’y suis rendu avec le programme alimentaire mondial et l’Unicef, parce qu’avant d’être député, j’étais activiste humanitaire au Sénégal et dans d’autres pays.
Et du coup, j’ai profité d’une pause parlementaire entre mars et avril pour mener des actions avec l’Unicef. Nous sommes allés à Goma et à Kinshasa. J’ai notamment lancé un projet avec des jeunes sur place pour récupérer les déchets plastiques qui salissent le lac Kivu.
L’idée est de me battre pour l’inclusion de ces jeunes qui sont déplacés dans les camps. Il y a tellement de choses intéressantes à mettre en place, avec une jeunesse qui est très créative que ce soit au niveau artistique ou musical. Goma est un véritable hub culturel à la frontière de différents pays, et cette jeunesse qui a le mérite d’être résiliente ne demande qu’à pouvoir exister.

« Souvent, lorsque deux pays africains sont en conflit, l’Occident ferme les yeux et se dit : « C’est entre eux, c’est un conflit ethnique. » Mais dans le cas de la RDC, ce n’est pas un conflit ethnique, c’est un conflit économique. »

On a souvent décrit le conflit à l’Est du Congo comme une guerre invisible dans le sens où elle n’était pas présente dans les médias dits « mainstream ». Et on a même l’impression que si on faisait un sondage à la volée, au hasard dans les rues de Paris, auprès de personnes non noires, à peine 20 % des gens sondés sauraient ce qui se passe aujourd’hui au Congo. Vous qui êtes au cœur du pouvoir, comment expliquez-vous qu’en 2024, ce conflit soit à ce point peu médiatisé et que les politiques français ne se soient pas emparés du sujet ?
Je pense que le monde est devenu individualiste. Vous avez raison, si vous posez la question à un Parisien dans la rue pour savoir ce qui se passe à Goma ou à l’Est du Congo, les réponses vont vous faire froid dans le dos. Mais le résultat ne serait-il pas le même si on faisait ce sondage dans n’importe quelle capitale africaine ? Il y a des pays frontaliers à la RDC qui doivent se montrer solidaires et qui ne le sont pas forcément. Même à Kinshasa, capitale de la RDC, bien des gens ne se sentent pas concernés. Pour eux, Goma c’est très loin, c’est un autre fuseau horaire, une autre langue (le swahili), une autre façon de manger, une autre façon de vivre… Les personnes qui vivent à Goma sont plus proches des pays frontaliers comme l’Ouganda, la Tanzanie, l’Ethiopie, le Kenya ou le Rwanda que de la capitale Kinshasa.
Et tout le monde se renvoie la patate chaude, les uns feintant le sujet, les autres affirmant que c’est aux puissances occidentales d’agir.
Les enjeux sont multiples, il s’agit d’une guerre économique pour des matériaux et pierres précieuses dont le sous-sol du Congo regorge. Des matériaux qui sont utilisés pour fabriquer nos portables. Et on connaît les entreprises qui fabriquent nos portables, ce sont des multinationales qui sont en France, aux États-Unis… La prise de conscience doit être multi latérale, pas seulement africaine.

Etes-vous optimiste pour trouver une issue favorable à un conflit qui dure depuis plus de 3 décennies ?
C’est obligatoire, la guerre va s’arrêter à un moment ou un autre. Par quel moyen ? Je pense que cela passera notamment par la jeunesse française d’origine africaine, la jeunesse mondiale d’origine africaine, la jeunesse de tout horizon, parce que l’on voit les gens se mobiliser dans les rues et accentuer la pression. Je pense qu’il faut une convergence massive des luttes.
Quand je suis sur place, les jeunes de Goma veulent autre chose. Quand je visite les camps de déplacés, je vois des personnes qui sont totalement innocentes, coincées au milieu d’un conflit, et avec pour seules perspectives la mort, le viol ou les massacres. On parle de personnes qui vivaient tranquillement, en toute autonomie, dans des villages qui se voulaient paisibles et qu’on a déplacés de force parce que l’on considère que leur sous-sol est plein de matières premières. C’est la quintessence de la perversité du système capitaliste occidental.
Et je suis convaincu qu’en Afrique, l’effondrement du monde capitaliste va arriver parce qu’on ne peut pas avoir au Congo 110 millions d’habitants, avec une écrasante majorité de personnes qui sont en difficulté et une infime minorité qui vit aisément. Cela vaut pour le Congo, mais cela aussi vaut pour différents pays en Afrique. Donc, dans cette échelle de valeur, des personnes qui profitent de ce business ne pourront pas agir éternellement, parce qu’il faut bien se rendre compte de la situation. C’est une zone où on soumet les gens à l’esclavage et aux travaux forcés d’enfants. C’est inacceptable. Et aujourd’hui, les rapports des Nations Unies sont totalement clairs. La France aussi. Le Quai d’Orsay a demandé aux milices du M23 de se retirer. Ces mêmes milices qui sont soutenues par le Rwanda. Le Rwanda qui ne produit pas ses minerais stratégiques que lui-même commercialise…
À un moment donné, il y a une exploitation de ces minerais de sang qui est inadmissible !

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Lorsque vous sonnez l’alarme au sein de votre parti (la France Insoumise), mais plus globalement au niveau de l’assemblée nationale ou peut-être même de l’exécutif, sentez-vous que votre message est entendu ?
Il est entendu, mais vous savez… Souvent, l’histoire veut que, lorsque deux pays africains sont en conflit, l’Occident ferme les yeux et se dit : « C’est entre eux, c’est un conflit ethnique. » Mais dans le cas de la RDC, ce n’est pas un conflit ethnique, c’est un conflit économique. Un conflit qui implique – entre autres – un pays comme le Rwanda qui agit au-delà de ses frontières, avec une violation claire du droit international. Donc les Congolais de France et de partout demandent un tribunal international qui pourra statuer sur tout ce qui s’est passé. Il y a eu le rapport mapping (mission d’enquête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme sur les violences et crimes opérés en RDC) et nous attendons juste que le droit soit respecté. Tout comme la Russie a violé le droit international en Ukraine et créé une levée de boucliers de la communauté internationale, il doit en être de même pour le Rwanda.
Les États-Unis ont condamné la situation et le porte-parole de la Maison Blanche, Antony Blinken, a demandé aux troupes du M23 de se retirer. Mais il n’y a pas d’action concrète faite par ces pays occidentaux, ni de mesure de rétorsion. Après, il faut savoir que le Rwanda n’est pas un pays signataire de la CPI (cour pénale internationale). Du coup, ils n’ont pas de compte à leur rendre.

Quel message adresseriez-vous à la diaspora ? A-t-elle un rôle clé ou la solution émanera-t-elle du politique ?
À la base, le politique est censé émaner de la société civile avant d’être élu. Je suis quelqu’un qui se bat pour des causes. Un politique, tout comme un citoyen, doit avant tout être humaniste, et lorsqu’il voit une injustice la dénoncer, parce que se taire c’est quasiment être complice.
Donc, lorsqu’il y a des mobilisations, je demande à la communauté congolaise, qui est ici en France, les jeunes issus de foyers africains, de se sentir pleinement concernés par ce qui se passe au-delà des frontières françaises. Les Congolais vivant sur place ne peuvent pas demander aux Congolais de France de les sauver. Ils ne vont jamais avoir cette démarche là. Ils vont essayer de régler leurs problèmes comme ils le peuvent, soit politiquement avec leurs élus, soit avec le soutien des organismes internationaux. Mais la société civile doit comprendre qu’elle a son rôle à jouer, avec les mobilisations certes, mais aussi via le boycott. Si une entreprise commercialise des minerais qui sont issus de spoliations, des minerais de sang qui ont causé la mort de milliers de Congolais, si une entreprise est identifiée, il faut savoir sanctionner économiquement et boycotter. Je le répète encore une fois, c’est une guerre économique.

Aujourd’hui, en France, la plupart des célébrités dans l’industrie de la musique sont originaires du Congo et bénéficient d’une visibilité énorme, notamment sur les réseaux sociaux. Selon vous, ont-elles également un rôle à jouer ? Les encouragez-vous à se mobiliser ?
Je ne pense pas qu’un artiste mette sa carrière en péril en prenant position, je pense au contraire qu’il en sort grandi. Mais l’artiste a-t-il atteint la maturité nécessaire pour prendre position ? C’est le vrai sujet. Certains estiment qu’ils ont fait carrière en étant uniquement dans le divertissement et ne veulent pas sortir de ce couloir.
Et si on doit se dire la vérité, beaucoup ne sont pas concernés par ce qui se passe. Vous aurez donc des artistes qui fuient les « risques » et d’autres qui seront plus courageux mais je ne peux donner d’injonction à personne. Chacun doit faire sa part, mais il ne faut pas pointer du doigt tel ou tel artiste qui ne se serait pas encore exprimé. Bien entendu, les artistes qui peuvent aider sont les bienvenus. Les Congolais sont des fanatiques de musique et ils seront forcément très sensibles à un artiste qui soutiendra publiquement leur cause.

Originaire du Congo, que cela représente-t-il ?
Le Congo, c’est un très grand pays, doté d’une faune et d’une flore exceptionnelles. L’Afrique, dans son entièreté, est le berceau de l’Humanité. Au final, quand on est originaire d’Afrique – et donc du Congo – on a le cuir épais et une conscience qui va très loin parce que nous serons toujours rappelés à notre couleur de peau, celle de nos ancêtres.
Cet héritage que l’on porte tous les jours nous impose de bien faire les choses, quand on peut le faire, même si ce n’est pas facile pour tout monde.

Si je vous dis le mot « Roots », quelle est la 1ère image qui vous vient à l’esprit ?
Je pense Union, je pense Teranga.