NDEYE FATOU NDOYE : Fondatrice du NILAJA

« Au Nilaja […] Le poulet DG du Cameroun, le saka-saka du Congo, le soup kandia du Sénégal, la sauce graine de la Côte d’Ivoire, le mafé du Mali, des vins d’Afrique du Sud… Une visite guidée du continent ! »

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?

Ndeye Fatou Ndoye, Sénégalaise, maman de deux petites filles, fondatrice et propriétaire du restaurant Le Nilaja, à Paris.

Revenons sur votre parcours…

Je suis arrivée en France, en 1999, pour devenir chef de cuisine.  Après un Bac ES, j’ai fait une école d’hôtellerie à Toulouse durant 3 ans. Drainée par mes aptitudes dans les études, j’ai décroché, en 2007, un diplôme de management international de l’Essec et un double diplôme de l’ESSEC Cornell University. J’ai ensuite intégré Accenture dans le conseil en strategie, système d’information et travaillÉ essentiellement sur SAP. J’ai, par la suite, quitté Accenture pour BearingPoint où j’ai écourté ma période d’essai pour me lancer dans mon projet de restaurant que je commençais déjà à construire. Je me suis lancée en 2010 et le restaurant a ouvert ses portes le 14 février 2011.

D’où est venue cette envie d’ouvrir un restaurant de gastronomie africaine ?

Il s’agissait d’un rêve, un projet qui s’est développé durant mes études d’hôtellerie où j’ ai pu faire le constat que la gastronomie africaine était sous-considérée. Un état de fait que je déplorais, car je considérais que l’on possèdait une gastronomie africaine très riche par son grand nombre de pays, d’ethnies, de fruits, de légumes, de produits… Je trouvais cela assez dégradant de ne pas pouvoir donner à cette gastronomie toute la place qu’elle méritait.

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Pouvez-vous nous décrire la carte du Nilaja ?

Je suis une panafricaniste convaincue qui essaye, au quotidien, d’abattre les frontières. L’idée est de réunir une large palette des gastronomies d’Afrique en un seul lieu et de permettre aux gens de goûter à toutes ces cuisines magnifiques. Trop souvent, les restaurateurs africains se replient dans un communautarisme par ethnie ou par pays. Au Nilaja, vous retrouverez donc le poulet DG et le ndolé du Cameroun, le saka-saka du Congo, la soupe yel, le yassa et le soup kandia du Sénégal, le kedjenou de poulet ou la sauce graine de la Côte d’Ivoire, le mafé du Mali, des vins d’Afrique du Sud… Une visite guidée du continent !

Quel état des lieux faites-vous de la gastronomie africaine en France ?

À l’époque, le constat que j’en faisais est qu’il s’agissait d’un secteur très masculin qui laissait peu de places aux femmes. Au niveau de la qualité, on déplorait nombre de restaurants au cadre peu accueillant, ne reflétant pas la qualité de notre gastronomie. On y retrouvait de très bon plats, mais le cadre était trop souvent mis de côté. On en avait une image de cuisine grasse, lourde… Je pense qu’il fallait justement travailler sur l’esthétique du lieu et la présentation des plats afin d’attirer le public, sans pour autant dénaturer les recettes, afin de répondre à une diaspora de plus en plus exigeante. Une diaspora qui vit à l’air de la mondialisation, qui connait les standards internationaux et qui aura pourtant toujours envie de retrouver les plats de son enfance. Au-delà de la diaspora, le défi était de s’ouvrir à une clientèle européenne plus large et curieuse de tester et découvrir notre patrimoine culinaire. Depuis que j’ai ouvert Le Nilaja, et que cette problématique est mon quotidien, je tire un bilan très positif. Le milieu est devenu très concurrentiel ce qui est une très bonne chose. Les standards se sont relevés. Aujourd’hui, on constate, dans quasiment tous les établissements qui ouvrent, un effort au niveau du cadre, du packaging, de l’accueil… Les nouveaux entrants innovent dans le traitement des produits, créent des espaces modernes et tendances, font de la cuisine fusion, etc. Au final, tout le monde y trouve son compte : les nostalgiques de la cuisine de maman ou des ambiances chaudes du pays, comme ceux à la recherche de nouvelles saveurs ou d’établissements de bon standing.

Dans un univers de plus en plus concurrentiel, quel a été le secret du Nilaja pour perdurer et s’inscrire comme un restaurant africain référence de la capitale ?

Mon âme entrepreneuriale. L’entrepreunariat, surtout dans la restauration, n’est pas un long fleuve tranquille. Il s’agit d’un chemin avec des creux, des bosses, des montées, des vallées et je pense qu’il faut être entrepreneur dans l’âme pour tenir dans le temps, savoir s’adapter à la clientèle et toujours se remettre en question.

Selon vous, arrivera-t-on au jour où la cuisine africaine sera démocratisée à l’instar de la cuisine chinoise ou thaïlandaise à Paris ?

Cela prendra du temps, certes, mais on y arrivera. Notre culture culinaire se propage, on retrouve même aujourd’hui des produits bien conditionnés tels que le bissap chez Métro, dans les supermarchés… Plusieurs marques se sont développées et ont permis de vulgariser notre gastronomie, des concepts de restauration rapide qui s’installent et possèdent une visibilité allant au-delà de l’habituelle clientèle africaine. Aujourd’hui, l’Afrique de manière générale est devenue « tendance », mais il y a encore beaucoup de travail pour changer durablement les esprits des gens. Trop souvent, lorsque l’on parle de l’Afrique on parle de fléaux, de catastrophes, de maladies, de mal bouffe… Alors qu’il y a tant de richesses à raconter ! Cela prendra donc du temps pour déconstruire ces idées sombres dans la tête des gens. Je pense que plus on aura d’entrepreneurs, quelque soit le domaine, qui se lanceront dans des activités qualitatives, plus les gens nous regarderont différemment. Le chemin est donc encore long.

Quel état des lieux global faites-vous de l’entrepreunariat noir en France ? Quelle serait votre façon de mettre une pierre à l’édifice ?

La nouvelle génération est très dynamique. Aujourd’hui, même ceux qui sont salariés entreprennent des activités annexes. C’est un élan qu’il faut encourager. Il faut que les entrepreneurs se structurent, quitte à créer un MEDEF version black et ne plus collectionner les organisations qui malheureusement aujourd’hui sont encore trop en fonction des pays d’origine des acteurs. Il faudrait une vision plus globale. Concernant la restauration précisément, l’offre africaine représente moins de 1% du marché de la restauration francilienne. Se fédérer devrait être possible ! Il faudrait que nous, les acteurs, ayons conscience que nous pouvons, en nous regroupant, relever le niveau de qualité de nos établissements, avoir plus de visibilité et peser sur nos fournisseurs car nous utilisons quasiment tous les même produits. Une sorte de syndicat au sens noble du terme. Cela profiterait à tous et surtout à s’imposer sur le marché. La concurrence ne doit pas être entre nous mais plutôt face aux autres types de cuisine. Je ne considère aucun autre restaurant de spécialités africaines comme un concurrent. Cela, les Asiatiques, les Auvergnats et autres l’ont bien compris. Pour ma part, j’aimerais, dans un futur proche, encadrer et coacher les jeunes startupers de la diaspora en leur transmettant mon expérience et mon expertise. Activité que j’ai déjà eu à exercer à la Chambre de Commerce des Hauts-de-Seine en tant que consultante création et développement des petites et moyennes entreprises. Bien qu’il y ait des exceptions, la formation et l’encadrement demeurent des éléments essentiels à la réussite d’un projet entrepreneurial.

Il s’agit d’une édition spéciale Sénégal/Gambie, que représente le Sénégal pour la personne que êtes devenue et que vous aspirez à devenir ?

Le Sénégal, c’est tout pour moi ! Ce sont mes racines, mes origines, là où je me ressource quand mes batteries sont à plat, là où je trouve mon inspiration. C’est mon équilibre !

Si vous aviez un ami non-Sénégalais qui venait à passer 48h au pays, quels endroits lui recommanderiez-vous ?

Cela dépendra de ce qu’il recherche, mais je lui préconiserais les îles du Sine-Saloum pour ceux qui aiment le coté authentique des choses, la Corniche pour ceux qui aiment le poisson frais ; et se mettre en bordure de mer pour observer le coucher de soleil, c’est toujours un moment magique !

Si vous aviez un message à adresser à la diaspora sénégalaise ?

Lancez-vous ! Nous possédons tellement de talents, osez l’entrepreneuriat !

Édition ROOTS n°22 – Spécial Djolof