ASSA TRAORÉ : Le combat continue

“ C’est dur parce qu’on va nous épuiser financièrement et psychologiquement. Chaque euro recolté via la vente du livre est reversé au combat. ”

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?

Assa Traoré, soeur d’Adama Traoré, j’ai 33 ans. Je suis Malienne, je viens du Cercle de Yélimané, dans la région de Kayes. Cela fait 2 ans et demi que je me bats avec ma famille pour la justice et la vérité pour mon petit frère Adama qui a été tué le 19 Juillet 2016, le jour de son anniversaire, par des gendarmes.

Revenons sur les circonstances de ce drame…

C’est une journée qui commence à 10h du matin quand la mairie de chez nous, à Champagne-sur-Oise, va appeler pour nous prévenir que la pièce d’identité de mon frère est prête. Mais malheureusement, ce jour-là, mon frère n’aura jamais le temps d’aller la récupérer. Ce jour-là, mon frère et sa sœur jumelle Awa célèbrent leurs 24 ans. Ce jour-là, il fait beau, il vient juste d’aller faire un tour de vélo, il a sa chemise à fleurs, son bermuda, son bob. Quand il passe dans le centre-ville de Beaumont, il aperçoit un des nos frères qui subit un contrôle d’identité. Il faut savoir que dans le quartier, quand tu es Noir ou Arabe, la carte d’identité est comme un bouclier, une sorte de gilet par balles. Ce jour-là, Adama n’a pas la sienne, alors il décide de pédaler à toute vitesse et les gendarmes, sans aucune raison, vont lui courir après. L’interpellation se fera en deux-temps. Tout d’abord, à 200 mètres de la mairie, où mon frère se fera violenter, frapper par les gendarmes, un individu va tenter de le sauver parce qu’ils sont habillés en civil. Adama va réussir à s’extirper et courir se cacher dans l’appartement d’une personne qu’il connaît. Et c’est là que tout va se passer. Dans cet appartement, mon frère va avoir son ventre contre le sol, chose que les gendarmes ont dit durant la première audition. Ils vont monter sur mon frère qui va porter plus de 250kg sur lui. Il va subir des techniques d’immobilisation que j’appelle « mortelles » et qui sont interdites dans plusieurs états, même aux Etats-Unis, mais qui continuent d’être pratiquées en France. Dans cet appartement, mon frère va porter le poids de 3 hommes et il va leur dire, en vain : « Je n’arrive plus à respirer ». Ils vont le compresser et le traîner jusqu’au véhicule de la gendarmerie, il va piquer de la tête, il va uriner sur lui, ils auront un droit de mort sur lui. Ce jour-là, ils ont décidé qu’Adama Traoré allait mourir parce qu’ils étaient à peine à 200 mètres de l’hopital et ont décidé de ne pas le ramener. Ils vont l’emmener dans cette cour de gendarmerie, ils vont nous dire qu’ils lui ont prodigué les premiers soins… Le rapport du SAMU va nous dire que, lorsqu’ils arrivent dans cette gendarmerie, Adama a le ventre au sol, menottes aux poignets. Ils vont demander aux gendarmes de retirer les menottes, mais ces derniers refusent. Mon frère n’est même pas en position de sécurité, ils l’ont jeté comme un chien dans cette gendarmerie. La mort officielle de mon frère sera déclarée à 19h05.

Comment votre combat a-t-il pris une telle ampleur ?

Le combat de la justice pour Adama est devenu national, international et si on est venu chez ROOTS aujourd’hui, c’est parce que c’est un combat qui a été construit et porté localement. Il y a eu des révoltes, les jeunes de chez nous ont fait un sitting, ils se sont mis devant la gendarmerie, ils ont dit vouloir voir le corps d’Adama. La première conférence de presse, ce n’est pas moi qui l’ai faite, c’est eux. Ils se sont accaparés une salle de la mairie et les journalistes sont venus. Ils ont parlé et exigé de voir le corps d’Adama. Ensuite, tous les mensonges sont ressortis, on va criminaliser la famille et victimiser les gendarmes, mon frère va devenir un délinquant, un criminel, alors qu’il est mort. On va dire « Non ! ». Lorsque la première autopsie va sortir, on va dire que mon frère est mort de crise cardiaque et d’infection très grave alors qu’il était en parfaite santé. On va dire qu’il est mort sous l’emprise de la drogue et de l’alcool. On va alors clamer haut et fort que tout ceci est faux en organisant une grande marche. On va être environ 6 000, je n’avais jamais vu autant de monde à Beaumont, les gens sont venus de partout ! On va d’abord nous proposer d’envoyer le corps de mon frère au pays, mais on va refuser. On veut qu’Adama soit enterré en France mais, avant, on va demander à faire cette deuxième autopsie. Autopsie qui va révéler que mon frère n’est pas mort de crise cardiaque, ni sous l’emprise de drogue ou d’alcool. On aura ainsi le soutien du procureur de Versailles et de trois juges sur l’affaire. On a ensuite été au Mali, une fois l’enterrement passé. Je me suis rendu au Palais, je me suis présentée et ai demandé à voir le Président. Après un refus initial et d’âpres négociations, ils ont proposé de nous envoyer une délégation, que nous avons refusé de rencontrer. Après avoir maintenu la pression, nous avons finalement été reçus, ma famille et moi, par le Président. Il nous a accueilli avec beaucoup de respect, s’est confondu en excuses pour les tracasseries et nous a présenté ses condoléances. C’était important pour la reconnaissance, pour l’honneur de mon frère et de ma famille. Mais, au-delà de notre cas, nous tenions à lui faire part des nombreux cas de ressortissants de familles maliennes victimes de violences policières et dans l’incapacité de réagir et se mobiliser comme nous avons pu le faire.   

Aujourd’hui, quelles sont les avancées dans le dossier ?

Nous en sommes à la 5ème expertise. Il y a une expertise qui va sortir bientôt, d’ici quelques semaines. L’affaire de Paris arrive en Janvier 2017 et va demander une autre expertise pour trancher la leur et la nôtre. Cette expertise va déclarer, en Juillet 2017, qu’il est bien mort asphyxié, sans emprise d’alcool ou de drogue. En septembre 2018, ils vont faire appel à une cardiologue qui va analyser le coeur d’Adama. Elle va déclarer que son coeur était en tellement bonne santé qu’il avait un coeur d’athlète. Ils vont ensuite déployer une experte en infectiologie qui va dire qu’il n’avait aucune infection grave. Et la, comme nous avons écarté la cause cardiaque et les infections graves, ils vont nous dire qu’il avait une maladie “exotique, tropicale” : la drépanocytose. C’est à la fois infondé et raciste. J’ai trois enfants, des tests sont faits systématiquement, si aucune lettre n’est venue dans ta boîte aux lettres, c’est qu’ils n’ont aucune maladie rare. Ils vont donc dire qu’Adama Traoré était drépanocytaire et qu’il est mort parce qu’il a couru 480 mètres en 15 minutes, ce qui est totalement faux. 2 ans et demi après les faits, les gendarmes ont été entendu pour la première fois, mais n’ont répondu que sur des faits de non-assistance à personne en danger. Ça ne nous intéresse pas ça ! Nous voulons une mise en examen sur la violence. Notre crainte est que la juge veuille emmener l’affaire de mon frère sur un non-lieu en se basant sur cette expertise “drépanocytaire”. Nous, on va sortir notre expertise, qui va tout reprendre et nous expliquer les fondements de cette soit-disant drépanocytose. Nous avons également aussi porté plainte contre ce premier médecin qui nous avait dit que mon frère avait une déficience cardiaque et une infection très grave. Comment se fait-il qu’il ait pu écrire ça, noir sur blanc, si ça n’a pas été commandité par quelqu’un ?

Les policiers que vous incrimnez exercent-ils toujours ?

Il y en a deux qui ont été mutés dans les DOM-TOM… avec une prime ! C’est comme ça que ça se passe en France. Pour n’importe quelle bavure de violence policière, tu es muté avec une prime. Ce n’est plus le combat de mon frère seulement, il ne reviendra plus. C’est fini. C’est un combat pour tous les Adama Traoré. Au moins deux jeunes meurent par mois. Il faut que les violences policières en France soient reconnues. On fera tout pour que le nom de mon frère reste et qu’il soit un symbole pour qu’on puisse changer les choses et donner une vraie place à ces garçons.

Que contient ce livre Lettre à Adama ?

En écrivant ce livre, j’explique qu’avant de tuer mon frère on tue quelqu’un. Eux ont toujours écrit l’histoire comme ils le veulent, on s’est dit qu’on allait aussi raconter l’histoire de mon frère pour que les gens l’humanisent. Sa vie n’a pas commencé le 19 Juillet 2016, mais le 19 Juillet 1992 quand il naît dans cet hopital de Paris avec sa soeur jumelle Awa. L’histoire de mon frère commence quand mon père quitte le Mali à l’âge de 17 ans, sac au dos, en plein milieu de la nuit et qu’il sillonne plusieurs pays d’Afrique avant d’arriver en France. L’histoire de mon frère, c’est quand on va chercher mes deux grand-pères au Mali pour faire la guerre 39-45, un qui meurt en France et l’autre repart avec une jambe en moins. C’est ça l’histoire d’Adama Traoré. Il allait au foot, il avait des amis. Notre vie a basculé et ne sera plus jamais la même. On raconte aussi comment s’est passée cette journée et comment cette machine de guerre s’est mise en place pour nous faire subir cet acharnement. Dans ce livre, on parle des victimes avant mon frère et ceux d’après, de la place de l’homme et de la femme noirs en France. Le combat est dur parce qu’on va nous épuiser financièrement et psychologiquement. Chaque euro recolté via la vente du livre (17€) est reversé au combat. On peut le retrouver à la FNAC, sur Amazon, dans les librairies, un peu partout. Il y a des t-shirts Justice et Vérité pour Adama qui coûtent 10€. C’est important pour qu’on puisse avancer car l’argent est une arme de cette guerre. Aujourd’hui, il y a plein de familles qui n’avancent pas dans leurs combats parce que financièrement c’est très dur. On ne lâchera rien !

Si je vous dis le “ROOTS”, cela vous évoque quoi ?

Cela me fait penser à chez moi, au Mali. J’ai l’impression de me voir là-bas.

Édition ROOTS n°21 – Spécial Mandé

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