YOUSSOUPHA : TAILLE PATRON

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Youssoupha, Français d’origine congolaise, mais je suis né et j’ai grandi à Kinshasa. Je suis artiste et producteur pour dire les choses simplement.

Revenons rapidement sur les grandes lignes de ta carrière de chanteur…
Quand je suis arrivé en France, j’ai commencé le rap vers 11/12 ans, j’ai trouvé que c’était une belle manière de s’exprimer. À l’époque, j’aimais écrire des textes, des poèmes… Mes grands frères et les grands de mon quartier écoutaient du rap et je trouvais que ça correspondait bien au type de textes que j’écrivais. J’aimais aussi le fait d’être en groupe car, à la base, je n’ai pas débuté en solo. C’était l’amusement, la récréation, j’ai presque forcé mes potes à se mettre dans le rap parce que je ne voulais pas être seul. Petit à petit, ils ont arrêté parce que ce n’était pas leur truc et j’ai dû me faire seul. Je suis passé de groupes en groupes, j’avais du mal à me positionner en solo, c’est pour cela que ça a pris du temps, d’autant plus qu’il y avait les études qui comptaient énormément pour moi. J’ai fait des études de lettres, puis de communication à la Sorbonne. J’ai sorti un street CD, mon 1er projet solo : « Eternel Recommencement », ça a bien pris et j’ai eu une signature en maison de disque. J’ai sorti mon 1er album « À chaque frère », un second « Sur les chemins du retour ». Par rapport aux standards commerciaux de l’époque, ma maison de disque n’était pas satisfaite des ventes et j’ai été contraint de basculer en indépendant puisqu’on m’a rendu mon contrat. J’ai alors monté une société avec mes associés Philo et Lassana « Bomaye Musik ». En étant en indé, j’ai réussi à vendre 10 fois plus que lorsque j’étais en major. J’ai continué avec un album qui s’appelait « Négritude », qui a très bien marché aussi et du coup, ayant de la réussite sur mes projets perso, je me suis dit que pour réellement nous considérer en tant que label, il fallait qu’on intègre d’autres artistes à notre structure. C’est ainsi qu’a commencé cette nouvelle aventure pour Bomaye Musik.

En voyant la force de Bomaye, avec de nombreux artistes complémentaires, je ne peux m’empêcher de penser à Birdman avec Young Money. Était-ce l’esprit ?
Oui, il y a du Birman avec Young Money, il y a aussi Biggs, Damon Dash et Jay-Z pour Roc-A-Fella Records. Je ne veux pas taper sur la France, mais en ce qui concerne le business, mon inspiration est plus américaine ou africaine. Sans vouloir en faire un truc racialiste à deux balles, mais en tant que Noirs en France, on est un peu complexés, c’est comme si ce n’était pas fait pour nous d’être entrepreneurs. Même moi, je l’ai cru. Pour moi, signer en major était d’une logique implacable, et que si je n’étais pas en major, je ne pouvais pas exister. Il a fallu passer par l’échec et la contrainte pour pouvoir se structurer. Je suis limite passé en indépendant par militantisme, plus que par conviction économique, à la base. Et comme Dieu est grand, j’ai finalement allié l’économique au militantisme, puisque j’ai largement mieux gagné ma vie avec cette décision de devenir producteur. Si je faisais un état des lieux des gens qui étaient place dans le milieu urbain de l’époque : le directeur de Skyrock est blanc, le directeur de Génération est blanc, le directeur d’Universal est blanc, le directeur de Hostile mon label à l’époque est blanc, le directeur de M6 Black est blanc, etc etc, donc pour moi il n’y avait pas de place. C’était une idée fausse, et j’espère que le fait qu’on ait réussi va en décomplexer d’autres. Les Américains avaient déjà une longueur d’avance et c’est en cela qu’ils sont des modèles.

Qu’est-ce qui a créé le déclic ?
Je vais te raconter une anecdote qui est loin du glamour de Puff ou Dre. Je me rappelle d’un jour. Mes disques commençaient à marcher, j’avais un peu atteint mes rêves : les disques d’or, disques de platines, Olympia, Zénith, etc. J’avais besoin d’un nouveau moteur. J’ai été convié aux NRJ Music Awards, j’étais tranquillement posé dans la salle. À un moment, Shy’m reçoit un prix et, 3/4 sièges à côté de moi, se trouvait Kamaro, son producteur. Tout le monde regardait et applaudissait Shy’m alors que moi je restais focalisé sur lui. Ce mec-là, il y a quelques années, il était sur la scène, il prenait ses distinctions en tant qu’artiste, les années sont passées et maintenant c’est lui qui met des artistes sur scène. Je suis rentré de cette cérémonie, j’ai appelé Universal, je leur ai demandé de me mettre en relation avec Kamaro. C’est marrant parce que tout le monde a cru que je voulais signer chez Universal. Je le rencontre, il ne comprend pas trop ce que je lui veux et là je lui dis : « moi j’ai réussi à devenir disque d’or, disque de platine, mon prochain rêve est de savoir comment le faire faire aux autres. Je sais le faire pour moi mais je veux le faire pour d’autres. Dis-moi tout. » On est resté 2/3 heures et il m’a raconté tout son parcours. Tu sais, je suis vraiment passionné par les exemples de réussite et j’ai un profond respect pour eux: Jamel, Omar, Dawala, Kamaro… Dans les mois qui ont suivi, j’ai eu la chance de rencontrer puis signer Keblack, Naza, Hiro, etc. Quand « Bazardé » de Keblack est devenu single de diamant, et son album disque d’or, je ne te cache pas que c’était aussi jouissif que lorsque j’ai eu mes premières distinctions personnelles !

Bomaye est un collectif uniquement d’artistes congolais. Est-ce un hasard ou une réelle volonté de ta part ?
Lorsque je prends Hiro, il venait de Bana C4, ils étaient 4 ou 5 dans le groupe et ils étaient peut-être deux Congolais. Étant donné qu’il était le leader, on s’est naturellement orienté vers lui. Pour Keblack, quand on a écouté sa première maquette où il chante « je sors de ma bulle, je crois que c’est l’heure, tout va bien, Hamdoulilah », on était persuadé que c’était un rebeu (rires). Je ne dis pas qu’il n’y a que les rebeus qui disent « Hamdoulilah » mais je ne pensais réellement pas que c’était un artiste noir. Et cela importait peu, tant qu’il a du talent. Finalement, on débarque chez Keblack, un dimanche à Creil, et on se rend compte que c’est une famille de Congolais (rires). C’est d’ailleurs Naza, son meilleur pote, qui nous a aidé à avoir le numéro de Keblack car on ne le trouvait pas et lui était très actif sur les réseaux sociaux. Et il s’est avéré que Naza aussi était Congolais. Je crois énormément au karma et je pense qu’inconsciemment, on a attiré cela. Quand tu te te concentres sur quelque chose, tu fais sortir une lumière. Les planètes s’alignent sur les Congolais, alors que ce n’était pas voulu de ma part, mais dans la vie je crois qu’il n’y a pas de hasard. Là encore, on vient de signer un artiste Congolais, qui est suisse, un peu dans une vibe à la Stromae. Il a 21 ans, on ne le connaît pas et le jour où il arrive au bureau pour signer son contrat, on lui demande son origine et… Bingo ! Encore un Congolais (rires) ! Tant mieux pour nous, ça rend les Congolais fiers, ça me rend heureux et si ça peut donner des exemples de réussite c’est une bonne chose.

Les projets de Bomaye pour 2018 ?
Sortir le deuxième album de Keblack, sortir le premier de Hiro qui arrive là, sans doute un prochain pour Naza, également. Développer notre artiste qui arrive de Suisse. En fait, on va essayer de trouver de nouvelles idées un peu prescriptrices. On a un artiste chez nous qui s’appelle Jaymax. On a été le premier label musical a signé un Youtubeur. Aujourd’hui, il a plein de placements de marques, de partenariats, mais à l’époque, quand on le signe, tout le monde nous prend pour des fous. Il faut savoir sentir les coups.
Notre force, c’est le terrain. Aller à Creil, manger un foufou chez les parents de Keblack, nous on peut le faire, Pascal Nègre (ancien PDG d’Universal) ne peut pas. Notre force, c’est l’humain, c’est le contact.

Si tu avais un conseil à donner à une personne qui se lancerait dans l’entreprenariat ?
Il faut se concentrer sur les opportunités. Parfois, on a des contacts mais on les néglige. Ne te concentre pas sur les obstacles. Les gens vont essayer de te décourager mais la question qu’il faut te poser est : « est-ce que tu es 100% sûr que ce n’est pas faisable ? ». Si ça ne l’est pas, alors fonce et ne te trouve aucune excuse.

Si je te dis, le mot « Roots », tu me dis ?
Kunta Kinté ! C’est ce qui m’a marqué lorsque j’étais enfant et vivais à Kinshasa.

Édition ROOTS n°20 – Spéciale Kongo