TOUSSAINT LOUVERTURE, « le premier des noirs »

« Cet homme fut une nation ». Cette phrase n’est pas de l’Abbé Raynal, homme de lettres connu pour ses textes anti-esclavagistes, à l’influence importante dans la vie de Toussaint Louverture, mais d’Alphonse de Lamartine auteur et homme politique du XIXème siècle qui signa le décret d’abolition de l’esclavage de 1848. Sa phrase souligne combien le destin de cet homme politique antillais a été confondu avec celui d’Haïti, l’île qui l’a vu naître esclave en 1743.

La terre des Indiens Arawaks, découverte par Christophe Colomb, a été convoitée de tous temps : c’est la perle des Antilles. Haïti (Ayiti), le nom indien de Saint-Domingue, est un enjeu d’importance pour la France, l’Espagne (qui possède la partie est de l’île d’Hispaniola) et les Anglo-Saxons. Les années 1600-1870 marquent le temps d’un capitalisme financier et d’exploitations des richesses et des humains pour satisfaire à ce commerce intensif. Colonie de la France, Saint-Domingue a pour rôle strict de fournir des matières premières aux industries, en échange de produits manufacturés. Le sucre est la denrée sur laquelle reposent ces échanges marchands.

Toussaint n’est pas encore Louverture. Bien que serf, il cumule de nombreuses différences avec ses frères de fers. Lettré, il est au service de maîtres basés sur l’habitation Bréda, qui lui donnera son nom, l’autorisant à circuler comme bon lui semble, sans toutefois l’affranchir. Vers 1776, il est totalement libre puis fait fortune grâce au café notamment, car Bréda possède deux ou trois plantations. Etant profondément différent des autres Noirs de l’île, Toussaint va néanmoins se ranger à leurs côtés, lorsqu’en 1791, les esclaves se révoltent contre les maîtres… Il aura cependant à cœur de retourner protéger ses anciens maîtres dans la plantation où il a grandi. Quatre mois après, les insurgés, qui avaient trouvé refuge dans la montagne, se rendent, affaiblis par leur grand isolement et la difficulté de trouver des vivres.

Jeu d’alliances

La lutte ne s’arrête pas. Les grandes puissances ont les yeux toujours plus gros que le ventre et lorgnent toujours plus sur Saint-Domingue. Anglais, Espagnols, Américains et Français s’opposent et tous essayent de se mettre les insurgés dans la poche. En 1793, Louverture fait une lettre ouverte adressée aux habitants et à l’Espagne et annonce vouloir prendre la position de chef du mouvement d’émancipation. Les « conquistadors » offrent en échange appui et protection à condition de se battre pour eux. En juin 1794, les Anglais s’emparent de Cap-Français (Port-au-Prince). Louverture, qui se distingue comme un chef militaire hors-pair, leur livre une guerre sans merci. Les Anglais déci- dent alors de traiter avec lui et signent un accord de commerce en 1799. Toussaint Louverture est aussi soutenu par les États-Unis, qui amènent des munitions pour exciter sa défense. Ils l’aident à tuer Rigaud, son rival. Au final, les deux pays anglo-saxons ont le même but : pouvoir supplanter la France et faire du commerce exclusif dans la colonie.

Pour accomplir son destin, Louverture a en tête ce qu’a écrit un de ses contemporains, l’Abbé de Raynal qui presse l’avènement d’un sauveur, un Spartacus noir. L’ascension politique et militaire de Louverture est bel et bien en marche.

Zones d’ombre sur le mythe

Il joue un rôle trouble dans l’exécution de son neveu par adoption Moyse, qui craignait que son oncle ne ramène l’esclavage. Toussaint Louverture fera aussi en sorte que Léger-Félicité Sonthonax quitte l’île en 1797, soucieux d’être seul aux commandes. Toussaint devient gouverneur à vie et seul lui a le pouvoir de nommer son successeur. Bon nombre de commentateurs y voient les racines du mal qui empoisonnent encore l’île.

Le coup d’arrêt de Napoléon

En France, les transformations qui frappent Haïti ne sont pas du goût du Premier Consul Napoléon. Celui-ci entend reprendre le contrôle absolu de la colonie, en déporter les chefs noirs et y restaurer l’ordre colonial. 31 000 hommes sont envoyés pour rétablir l’ordre et le pouvoir français dans les colonies « pour bloquer à jamais la marche des noirs dans le monde. »

Pendant trois mois, Louverture combat. Le 6 mai 1802, il se rend puis on l’assigne à résidence. En juin de la même année, il est arrêté. Pendant son acheminement vers la France, la nouvelle tombe : Napoléon a rétabli l’esclavage. Dessalines se désolidarise alors de la France : les combats reprennent. Si beaucoup de commentateurs ont noté combien Dessalines avait tué les Blancs, d’autres ont nuancé : les Anglais et les Américains ont été épargnés. Toussaint Louverture n’a pas vu ce qui se passe. Il meurt le 7 avril 1803 à Fort-de-Joux dans le Jura après avoir écrit : « En me tuant vous avez seulement tué le tronc d’arbre de la liberté des noirs. Mais il repoussera par les racines car elles sont très nombreuses. ». En 1803, l’armée française quitte l’île : Haïti devient la première République noire au monde. L’indépendance sera proclamée sur la place des Gonaïves par Dessalines le 1er janvier 1804. Le 2 mars 1983, le gouvernement français a remis au gouvernement haïtien une urne contenant « les restes symboliques » de Toussaint Louverture. Elle fut déposée au Panthéon national à Port-au-Prince.

Par Dolores Bakèla

Édition : ROOTS n°11