TOQUE LÉOPARD : Histoire d’un couvre-chef mythique

Qui a inspiré le port de la toque à peau de léopard ?
De tous les couvre-chefs au Congo, la toque de léopard est celui qui sans conteste fut le plus utilisé par les hommes politiques. Pendant au moins trente ans, il avait été avec la canne d’ébène puis l’abacos les principaux attributs du Maréchal et les symboles même du mobutisme. Ils se confondaient avec son régime dictatorial et personnifiaient le Guide lui-même. Car l’homme avait ses marques de fabrique et raffolait de ces symboles forts puisés dans la tradition et qui faisaient son honneur. Mais qui a inspiré cette coiffure qu’arborait fièrement le Président-Fondateur? Il est certes intéressant de connaître l’animal duquel est retirée cette peau, ensuite de comprendre son importance dans la société traditionnelle bantoue.

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Le léopard dans la tradition bantoue
Le léopard (panthera pardus) ou panthère est un animal solitaire doté d’un corps d’athlète qui fait de lui un agile grimpeur, un excellent coureur, un bon nageur et un parfait sauteur. Ses crocs énormes lui procurent la faculté de tuer en quelques minutes des mammifères deux à trois fois plus lourds que lui. Ses puissantes mâchoires lui permettent de transporter et de hisser sa proie de taille moyenne en haut d’un arbre à l’abri des autres prédateurs. En plus, il est beau, élégant, majesté, fort et violent. Félin prudent à la démarche royale, il possède pour la quasi-totalité des tribus bantoues les qualités requises à un chef détenteur du pouvoir traditionnel.
Les Bakongo l’appellent “ngo” qui symbolise pour eux la force et la puissance. Considéré depuis la nuit des temps comme un animal rusé, sa belle peau qui fait toujours rêver est sacrée dans la tradition bantoue. La toque de léopard coiffe la tête des chefs coutumiers en guise de couronne. La peau de la panthère est l’emblème du pouvoir traditionnel, l’attribut des rois et empereurs. Elle est l’un des symboles de leur autorité. Raison pour laquelle, le mulopwe Albert Kalonji tout comme Jean-Pierre Bemba l’ont accrochée sur leur veston. Outre la toque, certains monarques traditionnels portent aussi en bandoulière une lanière en peau de ce bel animal à la robe en rosettes.
La symbolique du léopard est donc solidement ancrée dans le subconscient des Bantous. Si au Kasaï, les grands chefs sont appelés “mukalenga wa nkashama” qui veut dire “mère-léopard” ou “du ventre de léopard” ; chez les Otetela par contre, le chef reçoit le jour de son investiture plusieurs insignes en rapport étroit avec l’animal sacré : deux peaux de léopard, un bonnet en peau de léopard, un collier fait de dent de léopard et une lance, le tout pour légitimer son autorité. La coiffe à peau de la panthera pardus a toujours été dans la société bantoue l’un des symboles matériels les plus importants et les plus solennels du pouvoir traditionnel légué par les ancêtres défunts.

L’usage moderne de la toque de léopard
L’adoption et le port de la toque par le pouvoir civil moderne date de l’avènement du pays à l’indépendance. Tetela est pétrit des traditions et coutumes de sa tribu, Patrice Lumumba en est sûrement le premier utilisateur.
Outre l’ancien Premier ministre et hormis peut-être Moïse Tshombe, plusieurs leaders de la première génération des hommes politiques congolais l’ont portée : de Joseph Kasa-Vubu à Jason Sendwe en passant par Pierre Mulele et Soumialot. Il semble que ce soient surtout les membres du MNC et les lumumbistes de tout bord qui aient pérennisé le port de ce bonnet dans le paysage politique congolais tout au long de la Première république.
Lorsque les Simbas occupèrent l’Est du Congo, la toque en peau de léopard devint le couvre-chef par excellence des dirigeants rebelles qui parfois l’ornaient avec des plumes d’oiseaux rares. Même leur sorcière, la très tristement célèbre mama Onema, dépositaire d’un pouvoir mystique, l’arborait. Lorsqu’il s’empare du pouvoir, Mobutu, ancien lumumbiste commence à porter la toque à partir de 1966, ayant compris ce qu’elle représente dans toutes les coutumes et traditions congolaises. Au début, ce bonnet ne coiffait sa tête que lorsqu’il était en boubou ou habillé de
ce qu’on appelait à l’époque “tanzanie”, une sorte d’abacos à manche courte que le Président-Fondateur ramena de chez son vieil ami le mwalimu Nyerere. Se comportant comme un monarque coutumier, ce symbole au parfum traditionnel n’était pas seulement son totem mais le signe visible de son omnipotence et de son pouvoir.
Par contre, ce bonnet était pour les dignitaires du parti-État le sceau de leur appartenance à l’aristocratie mobutiste. Lors de ses déplacements à l’étranger, la toque à peau de léopard incarnait la substitution de la tutelle coloniale par un pouvoir royal congolais. Plusieurs personnalités étrangères l’avaient portée pour marquer leur amitié avec le Maréchal. Mais profondément fasciné par le personnage de Mobutu, l’ancien président tchadien François N’Garta Tombalbaye fit de ce couvre-chef une particularité de sa politique de recours à l’authenticité qui à bien des égards fut un copier-coller importé du Zaïre. Avec la chute et la disparition du Guide, la toque de léopard a repris son sens originel, celui d’être un ornement ancestral symbolisant la royauté et le pouvoir des chefs traditionnels.

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Édition ROOTS n°20 – Spécial Kongo
Par Samuel Malonga
www.mbokamosika.com

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