TALIBÉS du Sénégal, un défi social et politique

Sur plus de 14 millions d’habitants que compte le Sénégal, pas moins de 50 000 enfants de 3 à 14 ans vivent sans leurs parents, et sont sous la coupe de marabouts pour lesquels ils mendient. Ils sont appelés les talibés.

Exposés à tous les dangers de la rue, les talibés sont supposés étudier le Coran avec leur maître, le « marabout », qui doit les former jusqu’à leur sortie de l’école coranique (daara). Pourtant, la réalité est bien éloignée de cet idéal éducatif datant d’une autre époque.
Les populations sénégalaises se sont converties pour la plupart à l’Islam à partir du 19e siècle, notamment en réponse à la puissance colonisatrice française. Outre une sauvegarde des coutumes et un solide appui politique face aux colons, l’Islam soufi proposait aux chefs locaux une éducation alternative à l’enseignement obligatoire français. Au début, les daaras étaient exclusivement implantées en milieu rural. Les talibés travaillaient dans le champ du marabout, qui en échange leur fournissait une instruction musulmane et prenait soin d’eux. La mendicité occupait alors une part minime de leur temps.

A Talibe showing off his Arabic skills

Crise et évolution des daaras

Mais les crises économiques et agricoles qui ont secoué le Sénégal dans les 1980 et 1990 ont modifié le fonctionnement des daaras. À cause de la réduction des budgets dédiés à la santé, à l’éducation et à l’agriculture, le tissu social traditionnel qui favorisait l’entraide a perdu de sa substance. Au même moment, le pays a subi plusieurs sécheresses, poussant un grand nombre de parents à se défaire de leur nombreuse progéniture au profit des marabouts. Mais, confrontés aux mêmes difficultés, les marabouts ont délocalisé les daaras dans les villes, où l’activité économique avait déjà repris.

Une illégalité incontestée

Le statu quo sur la question des talibés profite à beaucoup. Tandis que les parents se débarrassent de la charge que représentent leurs enfants, des marabouts douteux s’enrichissent sans effort. L’État, quant à lui, montre sa bonne volonté en ratifiant tous les textes proposés par les organisations internationales et non gouvernementales.

En 2012, l’ex-président Abdoulaye Wade tenta de rendre illégale la mendicité en ville. Mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application.

Reste à se poser les questions sur l’avenir et l’insertion de ces jeunes mal formés et à la merci des adultes…

Talibe boys sit waiting for gift bag with food and few other necessities from a team of volunteers from the US.

Talibe boys sit waiting for gift bag with food and few other necessities from a team of volunteers from the US.

Par Ekia Badou

Édition : ROOTS n°15