LE LUXE ET LES PEAUX NOIRES : je t’aime moi non plus ?

Longtemps boudées par les grandes marques, les peaux noires représentent aujourd’hui une cible incontournable du monde de la mode et de la beauté. Décryptage.

Ce n’est pas un secret. Le luxe a pour maître-mot l’argent, avec en jeu des sommes vertigineuses. Les annonceurs et décideurs se sont longtemps montrés frileux à l’idée de prendre pour égéries des femmes à la peau noire, car leur clientèle était en majorité blanche, et devait pouvoir s’identifier. Seulement voilà. Le mouvement
revendicateur nappy est passé par là, et avec lui ses figures de proue. Il ne fallait pas rater le coche.

De nouvelles égéries
Février 2014, Lupita Nyong’o remporte l’Oscar du second rôle féminin pour sa prestation dans Twelve years a slave. Elle devient alors rapidement une icône de la mode et de la beauté. Plus encore, elle devient la première femme noire ambassadrice de la marque Lancôme, qui n’avait à l’époque pas encore développé de cosmétiques pour ce type de carnation. Loin de ressembler aux égéries traditionnelles –
Julia Roberts, Lily Collins, Kate Winslet – la jeune femme arbore un teint ébène et des cheveux crépus qui semblent pourtant la rendre incontestablement belle aux yeux du monde.
En mai 2015, c’est au tour de Rihanna de faire son entrée chez Dior. La chanteuse barbadienne a participé à la dernière campagne de la maison française, « Secret Garden 4 », tournée au Château de Versailles.
Sans oublier Esther Kamatari, mannequin et princesse exilée originaire du Burundi, devenue égérie de la maison française de parfum Guerlain en juin dernier, rejoignant Natalia Vodianova et Michelle Yeoh. Elle redore ainsi l’image de la marque, ternie par les propos jugés racistes de son fondateur Jean-Paul Guerlain en octobre 2010.

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Black is beautiful
En France, la prise de conscience des annonceurs et des marques s’est effectuée au moment de l’émergence du mouvement nappy, contraction de « natural » et « happy » (naturel et heureux), deux adjectifs désignant le cheveu crépu.
Mais outre-Atlantique, les codes de l’industrie de la mode ont été brisés bien avant. Le premier modèle noir à s’être exprimé en ce sens est Naomi Sims, devenue célèbre dans les années 1970, au lendemain de la naissance du mouvement revendicateur américain Black Power. Lancé depuis le quartier new yorkais de Harlem, le slogan « Black is beautiful » mettait en avant la beauté du cheveu crépu et prônait la fin des produits défrisants, des rajouts de faux cheveux. Bien au-delà de la mode, le mouvement s’est révélé un enjeu politique de lutte contre le racisme et pour l’égalité des droits, dont Naomi Sims est devenue l’icône. Elle posera même en couverture des magazines Vogue et Fashion of The Times, une publication du New York Times, en novembre 1968, ainsi que dans plusieurs autres magazines féminins populaires: Cosmopolitan, Life, McCall’s…

Médias : noire mais pas trop !
Après sa compatriote américaine Naomi Sims, Naomi Campbell est la deuxième femme noire à avoir fait la couverture de l’édition anglaise du magazine Vogue, en décembre 1987. Le Vogue Italie a plusieurs fois utilisé l’image de Naomi Campbell qui est pour eux une îcone. Elles s’appellent Tyra Banks, Iman, Alek Wek, Chanel Iman, Jourdan, Sessilee Lopez le magazine féminin a même mis en lumière d’autres mannequins noires. Une façon d’exprimer leur amour pour la beauté noire, mais aussi en réponse aux nombreuses critiques à l’égard de la mode qui manque de diversité. « Il est vrai que nous choisissons rarement des mannequins noires. Simplement parce qu’elles ne vendent pas. […] Multiplier les couvertures qui ne marchent pas mettrait en péril notre magazine. […] Selon moi, cela n’a rien à voir avec du racisme. C’est juste que les lectrices, en majorité blanches, recherchent avant tout un effet miroir. Elles doivent pouvoir s’identifier », analyse Fabienne Schabaillie, directrice du booking du magazine Marie Claire. Un numéro du féminin français avec Naomi Campbell en couverture avait déçu au niveau des ventes.
En France, de plus en plus de femmes à la peau claire ou métisse sont présentes dans les médias grand public, notamment grâce aux populaires Miss Sonia Rolland (2000), Corinne Coman (2003), Cindy Fabre (2005), Chloé Mortaud (2009), Flora Coquerel (2013)… Mais les annonceurs, continuent de mettre en avant des peaux qui, si elles ne sont pas blanches, sont souvent peu typées, dans l’idée de se conformer à une sorte de beauté commune qui aurait pour norme la peau blanche…

Une adaptation forcée ?
De nombreuses études ont prouvé que les femmes noires consommaient plus de cosmétiques que les femmes blanches. D’ailleurs, l’Oréal, leader du capillaire afro, après le rachat des marques Softsheen et Carson en 1998 et 2000, a investi ces dernières années le marché du cosmétique ethnique. Le moyen de se racheter après les critiques suscitées par sa campagne pour shampoings et colorations, pour laquelle Beyoncé a été choisie en 2011. Le hic étant que la chanteuse arborait … des cheveux lisses, longs et blonds. La marque a été accusée de l’avoir blanchie. Aujourd’hui, elle s’associe avec de nombreuses beautés afro et des bloggueuses proches de leurs internautes, comme Fatou N’Diaye, l’une de ses égéries. Et bien d’autres maisons s’y mettent.

Le luxe suit donc la tendance, et aime, de gré ou de force, ces peaux colorées bien intégrées dans les sociétés cosmopolites des grandes villes.

Par Miss Cotton
Édition : ROOTS n°16