JR MAKASI : L’autodidacte multi-casquettes

Contrôle d’identité, s’il vous plaît ?
Makasi Junior, 33 ans. Je suis un entrepreneur d’origine congolaise.

Revenons sur vos débuts dans l’entrepreneuriat …
Cela remonte à mes 17 ans quand j’ai créé mes premières associations. La première s’appelait “La mouche vend du miel aux abeilles”, c’était un vide-greniers où tous les voisins devaient revendre des objets entre eux. Puis à l’âge de 18 ans, j’ai créé mon école de danse, motivé par l’expérience de danseur professionnel que j’avais eue à l’âge de 12/13 ans. Cela s’appelait la “Junior Dance School“ à Villepinte. En quelque sorte, j’y ai fait toutes mes classes et, de là, je me suis lancé dans la réalisation de comédies musicales. Par la suite, j’ai créé une autre association pour donner des cours de danse dans des centres pénitenciers. L’idée, à travers toutes ces actions, était de découvrir la vie et de faire mon petit bonhomme de chemin.

Le gros boum a eu lieu quand vous vous êtes lancé dans l’industrie musicale, non ?
C’est une succession de rencontres, qui m’a amené à la musique. Quand je me suis lancé, j’avais déjà quelques idées. Étant danseur, on écoute d’une manière particulière la musique par rapport aux autres, quand on danse, on la ressent. En 2011, je me suis décidé à créer mon label, GIVMEALL RECORDS, qui a cartonné.

Quels ont été vos artistes phares ?
Le plus gros artiste qu’on a eu fut Axel Tony. Avant notre collaboration, il était connu dans le milieu puisqu’il était déjà le choriste de Diam’s et de Kery James, mais il ne l’était pas en tant qu’Axel Tony. Avant lui, j’avais déjà développé Tal, l’artiste franco-israélienne qui marche très fort, encore aujourd’hui.

Étant autodidacte en tant que dirigeant d’un label musical, quels étaient vos arguments pour les convaincre de vous suivre ?
C’était au feeling, c’est venu tout seul. J’ai eu l’idée de faire une musique bien précise : c’était un zouk racontant l’histoire de 2 filles et ungarçon. J’ai décrit le concept à Axel et il était d’accord. Le garçon devait être un gros salaud qui l’assumait. Ce morceau a cartonné, il y a eu un buzz énorme jusqu’aux Antilles ! De là, on s’est réellement lancé et j’ai eu l’idée d’un autre concept de morceau qui s’appelait “Les feux de l’amour”.

“ Dans la musique, il y a 50 % de travail, 30% de relationnel et 20% de chance. Pour moi, c’est un dream, il suffit de rêver et plus tu rêves, plus tu y arrives. ”

On a pris le vrai piano de la série Les Feux de l’amour, on y a ajouté nos propres ingrédients et le son a également connu un succès notable. Fort de ces 2 expériences, on ne pouvait plus être que 2 personnes, il fallait créer un environnement de travail adapté et, du coup, on a créé le label GIVMEALL.

Comment cela se passe-t-il pour un autodidacte qui se lance dans une industrie où, j’imagine, il y a beaucoup de codes, de paramètres à maîtriser? Êtes-vous allé pas à pas ou aviez-vous un mentor pour vous donner les clés ?
C’était difficile parce que je n’avais pas fait d’études, je n’avais pas tous les codes du business, mais j’ai et continue d’observer, de beaucoup écouter et tirer des leçons de mes erreurs pour me solidifier. J’ai lu “la bible de la musique” pour m’instruire, où on t’apprend les codes, d’où vient la musique, comment les revenus se génèrent, qui fait quoi… Un livre de près de 3 000 pages !

Si vous aviez un conseil à donner à quelqu’un qui se lancerait dans l’industrie musicale …
Foncez ! Il ne faut rien lâcher ! Dans la musique, c’est simple, il y a 50 % de travail, 30% de relationnel et 20% de chance. Pour moi, c’est un dream, il suffit de rêver et plus tu rêves, plus tu y arrives. Tu fais ce que tu sais faire, ni plus ni moins. La musique, c’est ça, c’est l’art. Dans le milieu artistique, il ne faut pas se contenter de suivre, il faut faire ce que l’on aime et les gens viendront à ton univers.

Vous êtes-vous déjà dit “j’ai créé GIVMEALL, pourquoi ne pas essayer de jeter toutes mes forces dedans pour en faire la machine la plus grosse possible, en faire le futur Def Jam” ou était-ce juste une période de votre vie et vous vous résignez à passer à autre chose ?
Pour moi, c’était juste extraordinaire ce qu’il se passait, étant donné que je ne viens pas d’une famille aisée. Tous les jours, je repensais à ce qui se passait et le fait que ma famille me félicitait, c’était énorme. GIVMEALL RECORDS était une véritable fierté. J’ai été celui qui a amené la nouvelle musique afro-caribéenne au plus haut, ici en France.
C’était dur parce qu’un artiste communautaire n’avait pas la chance d’être développé dans les gros médias mais avec notre travail, on a réussi à le faire. Je ne suis pas pro-communautaire, mais j’aime ce que l’on est, on est afro, j’aime cette culture, c’est là d’où l’on vient, c’est ce qu’on a appris et je me suis toujours
battu pour la développer. C’est pour cela qu’on est un peu pionnier de la musique afro-caribéenne.
J’ai essayé de pousser le développement du label par le biais de partenariats et j’ai entamé de nombreuses conversations avec des amis du milieu. Malheureusement, les gens nous voyaient comme des prédateurs, plutôt que comme des alliés.
C’était dur de faire valoir le côté communautaire et de développer une grosse major. J’ai essayé, j’ai demandé à plein de petits labels de s’associer à nous, que ce soit en Italie ou en A-frique, j’ai voyagé partout ! En France, on a un savoir-faire, mais ma vision des choses n’était pas partagée par tous.

“ Nous avons acheté la licence de marque TRACE pour la Réunion, mais cela reste une radio appartenant à des Réunionnais et moi-même.”

Au-delà de la musique, pouvez-vous nous parler de vos différentes activités ?
J’ai eu la chance de pouvoir monter une boite de location de voitures. À la base, j’ai créé cette société pour que ma femme puisse gérer mon enfant, qu’elle se sente bien dans sa vie et qu’elle n’ait plus besoin de forcément compter sur moi, comme je ne suis pas souvent à la maison et que je voyage beaucoup. Même si elle est autonome et qu’elle a un très beau métier (elle est hôtesse de l’air), il y avait ce déséquilibre à la maison. Aujourd’hui, la société marche bien, elle s’en occupe et s’occupe de notre fille, et j’en suis très heureux. Entre-temps, j’ai également pu m’investir dans une radio urbaine sur l’île de la Réunion. Nous avons acheté la licence de marque TRACE pour la Réunion, mais cela reste une radio appartenant à des Réunionnais et moi-même.
Enfin, en 2017, je vais être directeur commercial d’un champagne qui s’appelle Delarocque 1815. Je vous tiendrai informé des évolutions !

À 33 ans, vous avez déjà beaucoup de choses à votre actif dans l’entrepreneuriat… Quel état des lieux faites-vous de l’entrepreneuriat noir en France, cette génération ROOTS entre 25 et 40 ans ?
C’est très beau, c’est très bien, parce qu’on se connaît quasiment tous et je vois le travail qu’ils font. On se croise parce que certains ont des restaurants, des barber shops… Et je suis le premier consommateur de la petite diaspora ici en Europe. Je ne peux que les féliciter, nous changeons les codes.
Par exemple, votre magazine ROOTS, et je ne dis pas ça parce que le boss est là (rires), c’est enfin un vrai magazine qui rassemble et qui nous ressemble ! J’applaudis la génération d’entrepreneurs actuels qui a faim et est déterminée à ouvrir toutes les portes. Maintenant, pour passer à un autre niveau, comparable aux noirs américains, il nous manque des banques, des médias puissants, des grands avocats, plein de choses. La génération de nos parents est arrivée en Europe dans les années 80, ce n’est pas en 30 ans que tout va basculer. Une fois qu’on aura donné des valeurs, une vraie direction à nos enfants, je pense que cela va changer et que dans quelques années, le diagnostic sera différent.

Que peut-on vous souhaiter pour cette année 2017 ?
Moins de crime et un peu de paix dans le monde. D’un point de vue perso, je ne sais pas… Pourquoi pas avoir un autre enfant !

Édition : ROOTS n°18