GORÉE : Au-delà du mythe

Située dans la baie de Dakar au large des côtes sénégalaises, Gorée est à première vue une île précieuse, aux formes du continent, fragile et plus récemment menacée par le climat. Elle est tristement célèbre pour avoir été le plus grand centre de commerce d’esclaves du XVe au XIXe siècle.

Un symbole incontesté de l’exploitation humaine

De 1536 à 1848 a eu lieu le plus important trafic de personnes au monde. En effet, ce sont tout de même plus de 20 millions des plus braves Africains qui ont été capturés et revendus comme esclaves à des négriers en direction de l’Europe, des États-Unis et des Caraïbes. Dans l’imaginaire collectif, Gorée c’est la  maison des esclaves. Construite vers 1780 par Nicolas Pépin, la structure de cette maison est assimilable à l’utilité qu’on devait en faire. Au rez-de-chaussée, on retrouvait les esclaves enchaînés au cou et au bras, entassés les uns sur les autres dans des pièces de 30 mètres de long sur 30 mètres de large pour une contenance de… 300 hommes ! À l’étage, les négriers étaient paisiblement installés. La vente d’un enfant leur rapportait le prix d’un miroir, et celle d’un homme le prix d’un fusil. L’un des symboles les plus forts de ce lieu reste la porte du voyage sans retour, porte par laquelle les esclaves étaient embarqués dans les navires négriers ou,  pour les plus malheureux,  jetés à la mer.

Le travail de mémoire de Joseph Boubacar Ndiaye

« Oui pour pardonner, mais non pour oublier » ce sont les mots du conservateur de la maison des esclaves, Joseph Boubacar Ndiaye, celui qui a fait connaître au monde le sombre passé de l’île, jusqu’à en faire son sacerdoce. Néanmoins, des historiens et scientifiques pensent que l’histoire de Gorée a été édulcorée à bien des égards. Certains pensent que le nombre de déportations prêtées au port de Gorée ne correspond pas à la réalité et que l’île était un point de départ mineur, en comparaison à l’étendue de cette macabre entreprise que fut l’esclavage. Au-delà du nombre d’esclaves y ayant transité, d’autres nient tout simplement le rôle de maison d’esclaves qu’aurait joué cette bâtisse, émettant la thèse qu’il ne s’agissait pas d’une maison d’esclaves mais tout simplement d’un entrepôt – doté d’une « captiverie » au rez-de-chaussée tout de même. Ils arguent d’ailleurs que les négriers n’auraient pas pu vivre au-dessus des cellules contenant des centaines de captifs privés de l’hygiène de base, avec les odeurs pestilentielles que l’on devine aisément…

Révisionnisme de l’histoire de la part de chercheurs ou sensationnalisme de la part du conservateur ? Les doutes sont permis, mais une certitude reste : ce lieu a bel et bien abrîté l’indescriptible, en témoigne cette glaçante porte du non-retour.

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Les négriers sont aussi passés par là

Si les négriers se sont disputés l’occupation de Gorée du fait de sa situation géographique idéale, il n’en demeure pas moins que  plusieurs d’entre eux se sont installés sur d’autres territoires côtiers. Là aussi, l’esclavage a malheureusement continué et laissé des marques indélébiles. C’est notamment le cas de la maison des esclaves à Agbodrafo au Togo, la route des esclaves à Ouidah au Bénin ou les forts Prinzenstein et Singelenburgh au Ghana.

Cameroun, Congo, Gabon, Sierra Leone et Nigéria ont eux aussi connu les atrocités de la traite négrière, sans pour autant avoir gardé de sanctuaire qui en fasse l’écho.

Une « île mémoire » devenue business touristique ?

En faisant des recherches sur les lieux mythiques à visiter au Sénégal, l’une des toutes premières suggestions à apparaître est l’île de Gorée. De 06h15 à 01h15 a lieu la traversée de l’île, dont le montant est de 5000 CFA pour les non-résidents et de 2000 CFA pour les résidents sénégalais, à cela rajouter 500 CFA pour visiter la maison des esclaves. L’île de Gorée représente tout de même entre 160 000 et 170 000 visiteurs annuels, selon les statistiques du port autonome de Dakar. Le tourisme constitue donc inévitablement la principale activité de l’île. De ce fait, Gorée est-elle une île mémoire dans l’esprit des autochtones ou un parc devenu quasi « attraction » ?

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Toujours est-il qu’au-delà de la maison des esclaves, Gorée rayonne de part ses ruelles aux couleurs chaudes et vives, plébiscitées par les photographes du monde entier. Un contraste saisissant pour une île dont la douceur n’a d’équivalent que la douleur de son lourd passé.

Édition ROOTS n°22 – Spécial Djolof